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Quand le COJOP PARIS 2024 confond dépassement de soi avec dépassement du temps de travail.

Le 07 avril 2025
La gestion des salariés des JO PARIS 2024 a soulevé et soulève encore de nombreuses interrogations, notamment sur la légitimité et l'encadrement du recours systémique à la convention de forfait jours.

 

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Pour caractériser l’esprit du sport et ses hautes valeurs, il faut évoquer la notion de « liberté d’excès » nous rappelait Pierre de Coubertin, figure symbolique et glorieuse des Jeux Olympiques et par ailleurs vibrant admirateur d’Hitler et de son régime (je glisse « discrètement » la référence car le monde a la mémoire de plus en plus courte et corrélativement, il semble que ce dernier personnage soit malheureusement devenu de plus de plus tendance).

 

Liberté d’excès et suivi de la charge de travail, …

 

Avec le recul et à la lecture des divers articles de presse et de témoignages de salariés, le COJOP PARIS 2024 semble avoir embrassé à bras le corps cette liberté d’excès en matière de durée du travail grâce à une utilisation quasi systémique de la convention de forfait jours.

Ces conventions sont soumises à des conditions de fond comme de forme qui, quand bien même seraient-elles remplies, ne garantissent pas nécessairement les salariés contre cette liberté d’excès. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) rappelle depuis plusieurs années que le système de forfait jours est contraire à la Charte sociale européenne comme à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Dès 2001[1], le CEDS reconnaissait que le système français de forfait jours rendait en théorie possible des durées de travail allant jusqu’à 13 heures par jour et 78 heures par semaine en contradiction avec l’article 2.1 de la Charte. En 2015, une étude de la DARES[2] révélait que 39,1% des cadres au forfait avaient une durée habituelle hebdomadaire de 50 heures ou plus.

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Cette position fut rappelée à de maintes reprises par le CEDS, mais faute d’une quelconque force normative, ses décisions n’ont pas eu la moindre influence sur le législateur.

Pourtant, sur le fondement de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) rendait, le 14 mai 2019, un arrêt CCOO/Deutsche Bank BAE (C-55/18) intimant aux États membres d’obliger les employeurs à mettre en place un système permettant de mesurer le temps de travail journalier de chaque salarié.

En 2021, malgré la décision de principe de la Cour de Cassation du 29 juin 2011[3] et à l’occasion des réformes issues de la loi « El Khomri », le CEDS réitère sa décision déclarant que le droit français restait contraire à la Charte sociale européenne et que les différents mécanismes protecteurs institués par la loi et/ou la jurisprudence française restaient insuffisants pour une garantie effective de durées raisonnables de travail.

Au cours du 1er trimestre 2024, la Cour de Cassation va rendre trois décisions consécutives sur les obligations des employeurs en matière de suivi de la charge de travail. Dans un premier arrêt du 10 janvier 2024[4], la Cour de cassation rappelle qu’en cas de manquement à l’une des obligations prévues par l’article L 3121-65 du Code du travail (dispositif dérogatoire que peuvent suivre les employeurs lorsque les dispositions d’un accord collectif relatives aux conventions de forfait ne respectent pas les conditions prévues par l’article L3121-64 du même code), la convention individuelle de forfait en jours était privée d’effet. Un bref rappel desdites obligations :

1°.    L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2°.    L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3°.    L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

Dans son arrêt du 28 février 2024[5], même principe précisant qu’à défaut de mise en œuvre d’un suivi effectif et régulier de la charge de travail, notamment au regard de l'obligation, prévue par un accord d'entreprise de validation par le supérieur hiérarchique, du suivi journalier qui doit faire apparaître, pour chaque jour travaillé, le nombre d'heures de travail, la convention de forfait jours est nulle ou privée d’effet.

Enfin le mois suivant, le 27 mars 2024[6], la Cour de Cassation rappelle l’absolue nécessité d’un entretien annuel sur la charge de travail (même si elle omet d'en rappeler le caractère spécifique).

 

… des notions antinomiques au sein du COJOP Paris 2024 ?

 

Toute cette jurisprudence tant française qu’européenne aurait dû pousser le COJOP PARIS 2024 à envisager une révision de l’accord collectif « sur le temps de travail, les congés et autres absences » signé avec la CFDT. En effet, celui-ci prévoit à l’article 9.5 dans la rubrique « Salariés au forfait annuel en jours » :

 « L’enregistrement du temps de travail des salariés autonomes est effectué via le système ADP de pilotage par contraste du temps de travail : déclaration par le salarié de ses jours de repos (RTT, congés, récupération, etc.) dans ADP et décompte automatique des jours travaillés »

Il semble qu’on soit à des années-lumière de l’obligation de suivi décrite plus haut par la jurisprudence ou simplement par les dispositions conventionnelles applicables (notamment l’article 5.3.1.6 de la convention nationale du sport) qui exigent un contrôle régulier, mensuel et annuel, de la charge de travail.

Les résultats du rapport QVT réalisé en 2023 n’y changeront rien visiblement.

image-3-copjo-paris-2024-duree-travail-1.png[7]

Bien entendu, au mois d’août 2024, syndicat ou journaliste, nombreux se faisaient écho d’une dérive en matière de durée du travail pendant les jeux olympiques. Les salariés témoignent même de l’invention par le COJOP PARIS 2024 du concept du « forfait jours avec planning et horaires contraints » ...

Interrogée par France Info à cette même époque[8], la direction du COJOP Paris 2024 confirmait mordicus n’avoir enregistré aucune difficulté remontée par les représentants du personnel, ni la moindre contestation judiciaire de la part de ses salariés ...

Elle avait juste oublié (oups) qu’un salarié avait déjà saisi le Conseil de Prud’hommes de PARIS de cette difficulté (et ce n’est pas le seul). Cette procédure a trouvé son aboutissement devant le Cour d’appel de PARIS le 31 octobre 2024[9] avec le constat suivant :

« En l’espèce, la cour constate que l’employeur ne produit aucun document établi chaque mois récapitulant le nombre de journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos, ni récapitulatif annuel, pas plus qu’il ne soutient avoir procédé à un entretien annuel destiné à vérifier la charge de travail

En conséquence, la convention de forfait en jours est déclarée inopposable au salarié, et le paiement d’heures supplémentaires s’effectue selon le droit commun… », entraînant une condamnation du COJOP Paris 2024 à payer plus de 40 000.00 Euros de rappel de salaire et de congés payés y afférents sur les années 2018 et 2019.

Alors que la préparation des JO d’hiver 2030 suscite réticences, reculades et crispations et sans même évoquer les questions d’adéquation de ce projet aux défis économiques, climatiques et logistiques à venir, peut-on espérer du futur Comité Olympique une meilleure gestion du temps de travail de ses salariés ? Ou à tout le moins une plus grande transparence sur les erreurs passées ?

Ou le COJOP 2030, fraichement lancé le 18 février dernier, saura-t-il faire preuve d’un nouvel effort de créativité et/ou d’opacité pour contourner le problème ? Peut-être un forfait jours avec un plafond de 78 heures hebdomadaires (à temps partiel, parce qu’il faut garder du temps pour être bénévole quand même …) le tout validé par un loi d’exception ?

« Que t’en semble lecteur ? Cette difficulté vaut bien qu’on la propose. » interrogeait La Fontaine.

 

Laurent SALAAM-CLARKE

Avocat au barreau de Paris



[1] CEDS 16 nov. 2001 RJS 2002 p. 513
[2] DARES Analyses n°048 Juillet 2015.
[3] Cass. Soc. 29 juin 2011 n°09-71.109 FR-PBRI.
[4] Cass. soc 10 janvier 2024 n°22-15.782.
[5] Cass. Soc 28 février 2024 n°22-13.613.
[6] Cass. Soc. 27 mars 2024 n°22-17.078.
[7] Extraits du rapport QVT wittyfit du COJOP PARIS 2024 (Avril 2023).
[8] Article Francetvinfo paru le 9 août 2024 : « Jeux olympiques de Paris 2024 : certains salariés soumis à des horaires loin du temps de travail légal ».
[9] Cour d’Appel de PARIS. 31 octobre 2024. RG n° 21/08434.

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